- APOLOGISTES GRECS
- APOLOGISTES GRECSEn présentant la doctrine de l’Évangile, les premiers auteurs chrétiens avaient dû incidemment réfuter certaines propositions hétérodoxes. Au IIe siècle, l’attitude agressive des païens et des juifs contraignit les chrétiens à défendre leur foi par des écrits polémiques, qui furent assez nombreux et assez caractéristiques pour valoir à leurs auteurs de constituer aux yeux de la postérité un groupe connu sous le nom d’apologistes grecs.Le IIe siècleAprès les persécutions de Néron et de Domitien, les chrétiens avaient connu dans l’Empire romain quelques années de paix, auxquelles succéda une longue période d’insécurité; la règle était de punir les chrétiens qui avaient été dénoncés, mais non de les rechercher systématiquement. C’est contre l’inanité et l’injustice de cette législation que s’élevèrent les premiers apologistes chrétiens, qui osèrent s’adresser directement à l’empereur: Quadratus, le premier de tous, présenta son apologie (perdue) à l’empereur Hadrien durant un séjour en Asie Mineure en 123-124 ou en 129. Aristide d’Athènes s’adressa au même empereur Hadrien (117-138), Justin à Antonin le Pieux (138-161), Miltiade (texte perdu) à Marc Aurèle (161-180) et Lucius Verus (161-169), Apollinaire de Hiérapolis (texte perdu) et Méliton de Sardes (courts fragments) également à Marc Aurèle, Athénagore d’Athènes à Marc Aurèle et à Commode (176-192).L’adresse à l’empereur finissait par être un genre littéraire, plus ou moins factice, qui ne pouvait convenir dans tous les cas puisqu’il était absolument exclu de la polémique contre les juifs, et cela conduisit les apologistes à adopter des présentations différentes: le Discours aux Grecs de Tatien est destiné à un vaste public, peut-être avec l’arrière-pensée d’inviter ses lecteurs à fréquenter son école. Ariston de Pella dans sa Discussion entre Jason et Papiscus au sujet du Christ (perdue), Justin dans son Dialogue avec Tryphon et Théophile d’Antioche dans ses trois Livres à Autolycus adoptèrent la forme du dialogue; Méliton de Sardes et l’auteur de l’Épître à Diognète préférèrent la «lettre ouverte». Ce qui est commun aux apologistes grecs du IIe siècle, c’est qu’ils eurent tous le souci de rédiger des écrits immédiatement compréhensibles pour leurs lecteurs.Les apologistes, spécialement les évêques, ne limitèrent pas leur activité à la polémique, ils furent aussi des pasteurs et surent éclairer la foi de leurs auditeurs, le plus bel exemple est l’Homélie sur la Pâque de Méliton de Sardes, qui expose avec lyrisme la Rédemption et le triomphe du Christ.Justin et son écoleLe plus important des apologistes grecs du IIe siècle est Justin. Il était né en Palestine à Naplouse (la Sichem de la Bible) de parents païens. Il se mit à l’école des philosophes – un stoïcien, un péripatéticien, un pythagoricien, enfin un platonicien – jusqu’au moment où il connut le christianisme et se convertit, probablement à Éphèse. Il décida alors de défendre sa foi chrétienne: il revêtit le pallium , le manteau que portaient les philosophes grecs, et se mit à voyager. Arrivé à Rome, il y fonda une école où il eut comme élèves deux apologistes, Tatien et Miltiade (les écrits de ce dernier sont perdus et son séjour à l’école de Justin n’est que probable).Le philosophe cynique Crescens, adversaire passionné de Justin, se vengea d’avoir été convaincu d’ignorance au cours d’une discussion en allant le dénoncer; Justin fut décapité, probablement en 165, avec six compagnons; le récit de son martyre, qui comporte l’interrogatoire et la sentence, est le seul procès-verbal authentique de martyre qui ait été conservé pour la ville de Rome.On possède de saint Justin deux apologies adressées à Antonin le Pieux (138-161) et le Dialogue avec Tryphon , la plus ancienne apologie dirigée contre les juifs.Plus encore que par leurs développements apologétiques et théologiques, les œuvres de Justin intéressent par les descriptions qu’il donne de la liturgie du baptême et de l’eucharistie: c’est le plus ancien auteur qui décrit la célébration de la messe. Ce faisant, il s’écartait d’une consigne de silence habituellement suivie. Ne pouvant se soumettre à certaines pratiques païennes intimement mêlées à la vie sociale et obligés d’être discrets pour leur propre sécurité, les chrétiens vivaient dans un effacement volontaire, qui alimentait les pires calomnies, car il laissait supposer que leurs réunions étaient secrètes parce qu’elles comportaient des rites inavouables, tels qu’obscénités ou meurtres d’enfants. Justin fut le seul à penser que la meilleure défense était de raconter simplement ce qu’étaient ces réunions sans craindre d’exposer à tous les mystères du christianisme.Disciple de Justin, Tatien composa un Discours aux Grecs d’une extrême violence où il rejetait avec mépris la culture grecque tout entière. Cet exalté finit par quitter l’Église, trop faible à son gré, et fonda la secte des encratites, qui condamnait absolument l’usage de la viande, du vin et du mariage. La célébrité de Tatien vient surtout de son Diatessaron , «tiré des quatre», qui est une histoire de Jésus, groupant en un récit continu des passages des quatre évangiles; c’est le plus ancien essai du genre, le seul qui ait été utilisé dans la liturgie.Caractères généraux des apologiesPlacés dans des circonstances bien déterminées, les apologistes grecs du IIe siècle furent amenés à traiter les mêmes questions. Ils eurent d’abord à réfuter les calomnies contre les chrétiens; on les accusait d’immoralité, ils soulignèrent leur honnêteté, leur chasteté et leur intégrité; ils insistèrent sur l’absurdité de la loi qui les condamnait parce que chrétiens, alors que nul ne peut être puni pour une étiquette, mais seulement pour des actes. Plus encore, ils s’efforcèrent de répondre à ceux qui prétendaient que le christianisme était un danger pour l’État, en montrant que la foi était une force de premier ordre pour la conservation et le bien-être du monde.Passant à l’offensive, les apologistes opposèrent l’absurdité et l’immoralité du paganisme à la doctrine chrétienne qui seule donne une idée correcte de Dieu et de l’univers. Ils développèrent à ce propos les dogmes de l’unité de Dieu et de la divinité du Christ.Enfin, ils s’efforcèrent de montrer la supériorité du christianisme sur la philosophie grecque, qui à des vérités fragmentaires avait mêlé un grand nombre d’erreurs, et sur la loi de Moïse, qui n’avait eu qu’une autorité temporaire et limitée, alors que le christianisme est la nouvelle et éternelle loi pour tous les humains.Un succès tardifOn cite une douzaine d’apologistes grecs, dont un anonyme, l’auteur de l’Épître à Diognète , mais la majorité de leurs œuvres sont perdues et les titres ne sont connus que par l’historien des premiers siècles Eusèbe de Césarée († 304).Les progrès rapides de la pensée chrétienne au IIIe et surtout au IVe siècle et l’évolution des temps retirèrent tout intérêt à ces écrits de circonstances. Par comparaison avec les définitions des grands conciles, leurs exposés de la doctrine chrétienne paraissaient flous, parfois inexacts.Mais ce qu’on avait considéré comme un défaut pendant plus d’un millénaire devint aux temps modernes une qualité. Les historiens de la théologie recherchèrent passionnément des écrits qui témoignent des premiers essais de réflexion philosophique sur le dogme chrétien et contiennent des détails importants sur une époque ancienne et difficile à connaître. En conséquence, le contraste entre les deux périodes est saisissant: l’Épître à Diognète n’est pas citée dans la littérature patristique et byzantine, elle a été ignorée d’Eusèbe de Césarée, de Gennade et de Photius, les meilleurs bibliographes anciens, elle n’a été conservée que par un manuscrit, copié au XIVe siècle et qui disparut dans l’incendie de la bibliothèque de Strasbourg en 1870, mais, depuis 1592, elle a été imprimée au moins soixante-cinq fois.On ne s’est pas contenté de rechercher les manuscrits grecs. Certains textes ne nous sont parvenus qu’à l’état fragmentaire, d’autres dans des traductions. La transmission la plus étonnante est celle de l’Apologie d’Aristide , qui a été insérée par saint Jean Damascène au VIIe siècle dans l’histoire édifiante de Barlaam et de Josaphat, roman dont la trame est un décalque de la légende du Bouddha, où se greffe une théorie du monachisme chrétien.
Encyclopédie Universelle. 2012.